La démocratie ou Carthage

En décembre 2010, je me suis tenue sur le trottoir en face de l’ambassade de Tunisie à Ottawa. Ni les températures glaciales de l’hiver ottavien, ni la peur du régime de l’époque, ne nous ont dissuadé, une poignée de canadiens d’origine tunisienne, d’afficher notre solidarité avec le mouvement de contestation qui a pris le gouvernement de Ben Ali par surprise et qui a déferlé à travers toute la Tunisie.

C’était le début de ce que nous appelons aujourd’hui le printemps arabe, né du fin fond de la Tunisie, à Sidi Bouzid, une ville de l’intérieur connue pour l’esprit indomptable et révolutionnaire de ses habitants et de leur marginalisation par le pouvoir central de Tunis depuis presque toujours.

Ayant quitté la Tunisie sous le régime de Ben Ali en 1991 pour terminer mes études au Canada, je n’ai jamais cessé de m’intéresser à la politique de mon pays natal. Un pays géographiquement petit, certes, mais connue depuis des siècles comme carrefour des civilisations. Nichée entre des puissances géographiques et économiques comme l’Algérie et la Libye et aux portes de la rive nord méditerranéenne, la Tunisie reste un incontournable de la politique du Maghreb, et du bassin méditerranéen.

Depuis, nos manifestations de solidarité se sont transformées en des marches pour soutenir la démocratie naissante tunisienne. Au mois de janvier 2011, nous étions une centaine à marcher depuis le parlement Canadien à Ottawa jusqu’au Monument des droits de la personne en passant par les bureaux du premier ministre pour démontrer notre soutien à ce changement que nous chantions tous avec ce slogan arabe « Le peuple veut la chute du système » devenu depuis le célèbre slogan scandés par les foules dans les rues du Caire, de Daraa, de Sanaa, de Tripoli et d’autres villes arabes.

Il est sous-entendu que le système dont il était question est le système politique, c’est-à-dire la dictature sous laquelle nous avons tous vécu : un régime policier où les arrestations des opposants politiques, le népotisme, la corruption et les atteintes aux libertés civiles étaient monnaie courante.

Avec la fuite du Président dictateur, Zine el-Abidine Ben Ali, sous les chants furieux de la foule qui répétait « dégage, dégage » devant la terrifiante bâtisse du Ministère de l’Intérieur où plusieurs tunisiens ont été torturé ou humilié, le peuple tunisien n’avait désormais qu’un seul rêve : construire une nouvelle ère de liberté, de dignité et de prospérité.

Cette nouvelle ère a commencé de 2011 jusqu’à nos jours. Le 25 juillet dernier, une journée symbolique dans l’histoire tunisienne, puisqu’elle marque la naissance de la première république tunisienne après son indépendance de la France, le président tunisien, Kaïs Saïed, élu en 2019, a décidé de geler les travaux du parlement tunisien, de démettre le premier ministre de ces fonctions tout en s’octroyant le pouvoir exécutif.

Ce fut un tremblement de terre dont les ondes de choc se font sentir jusqu’à aujourd’hui. Après l’annonce, plusieurs tunisiens sont descendus dans les rues désertes pour exprimer leur joie avec cette décision que plusieurs qualifient de courageuse et de « coup d’éclat », en contraste à ce que certains ont qualifié de « coup de force » ou carrément de « coup d’état ».

Mais après l’euphorie vient le temps du ressaisissement et de la réflexion.

Personnellement, je suis restée sceptique pour ne pas dire craintive. Les dérives populistes qui prennent d’assaut plusieurs démocraties sont devenues un peu trop familières, surtout avec un exemple assez proche de chez nous. Rappelons-nous le Président Trump qui a régné à coups de Tweets en parlant directement à sa base et en faisant fi aux lois et aux institutions démocratiques centenaires. Bien evidemment, la Tunisie n’est pas les États-Unis. Toutefois, avec sa démocratie bourgeonnante, elle n’est pas à l’abris de ces dérives de plus en plus courantes.

Mais la question qui revient sur les lèvres est pourquoi la Tunisie en est arrivée là.

La crise sanitaire de la COVID-19 est la goutte qui a fait déborder le vase. La pandémie a fait des ravages dans ce pays qui est devenu malheureusement le pays le plus endeuillé du monde. Une mauvaise gestion de la crise sanitaire, une infrastructure sanitaire précaire, des politiciens incompétents, une communication avec les citoyens presque inexistante dont certains sont restés sceptiques quant à l’importance de la vaccination et des médias sociaux qui ont fait circuler des théories du complot qui ont accentué la peur des citoyens. Mais c’est surtout une crise de confiance entre la population qui a perdu une grande partie de son pouvoir d’achat et la classe politique qui n’a pas cessé depuis les balbutiements de cette révolution à jouer les cartes politiques tout en oubliant leur raison d’être primordiale : travailler pour le bien de ceux qui ont voté pour eux et améliorer le sort des plus démunis.

La crise économique : depuis la crise mondiale de 2008, la Tunisie n’a pas pu se relever de cette crise financière qui a touché en pleins fouets des pays comme l’Italie l’Espagne et la Grèce. Une économie dominée par un tourisme vieux et archaïque, une industrie minière à la discrétion des marchés mondiaux, une administration lourde et bureaucratique qui n’a pas pu se moderniser et faire miroiter des avantages fiscaux face aux investisseurs internationaux comme ce fut le cas dans les années 70. Bref, une économie sclérosée qui a pu relativement s’en sortir sous le régime de Ben Ali mais qui a connu sa mise à mort par les guerres intestines entre Ennahda, le parti d’inspiration islamiste et les autres partis et la corruption qui a gangrénée tous les secteurs clés économiques.

Un système électoral et politique hybride et compliqué est resté presque méconnu et incompris par la population en générale. Depuis l’indépendance en 1956 jusqu’à la création d’une nouvelle constitution en 2014 et l’émergence d’un système plutôt parlementaire, la Tunisie a été gouvernée par un système présidentiel : « l’homme fort de Carthage ». Dans la mentalité populaire, le « sauveur » de la nation est toujours un homme, Monsieur le Président, qui prend les « bonnes » décisions pour nous sortir des crises successives. Très rares, étaient les fois où ce sont les institutions qui ont pris le dessus sur ces hommes forts de Carthage.

En 2010, c’est le peuple qui est sorti dans les rues pour prendre le dessus.

Le 25 juillet 2021, c’est un homme de Carthage qui tente de reprendre sa place en sein de l’histoire de ce pays en s’appuyant sur cette volonté populaire. Mais cette fois-ci en mettant de côté ces mêmes institutions qui l’ont porté au pouvoir.

En 2020, lors de mon voyage en Tunisie, je suis allée rendre visite à un cousin de mon père. Un homme de grande culture et qui s’est toujours intéressé au fait politique. Je voulais connaitre son opinion sur la situation politique du pays. Je m’attendais à une longue diatribe sur les partis et sur les politiciens. A ma grande surprise, il m’avait brièvement répondu : « La Tunisie s’en sortira. Nous nous en sommes toujours sortis depuis Hamilcar jusqu’à aujourd’hui! »

En faisant référence à cet ancien général militaire carthaginois du deuxième siècle avant Jésus Christ, qui s’est battu contre Rome, mon cousin paternel me rappelait à juste titre, qu’au-delà des hommes forts et de leur visée hégémonique, c’est la résilience des populations qui survivra. Ce n’est pas moi qui le dit, ni mon cousin, c’est l’histoire qui nous le rappelle.

Une version courte de cet article a été publié sur le site de La Presse.ca

Une place dans le cercle

Le mois de décembre passé je suis allée visiter Tunis, ma ville natale. Depuis quelques années, j’y vais tous les deux ans. C’est peut-être la vieillesse qui pointe à l’horizon et qui me rend nostalgique. Nostalgique des odeurs de mon enfance, des couleurs du ciel de l’été à la tombée du soir, après les journées de chaleur torride que je passais dans ma chambre en train de lire, presque collée au mur à la recherche, en vain, de fraicheur. Nostalgique aussi des amitiés que le passage du temps a graduellement effritées pour presque effacer. À chaque visite je regarde les photos que j’ai conservées. Comme si j’allais découvrir quelque chose de nouveau. Et pourtant je les connaissais par cœur. Les photos d’anniversaire où chaque enfant arbore un sourire, prend une pose particulière pour se distinguer. Celles de mariages, avec les robes blanches et longues, les cheveux coiffés pour l’occasion, le regard blasé, des ballons flétris qui trainent par terre. Mais la photo dont je me souviens le plus c’est celle que ma mère a prise à la veille des vacances d’été dans la cour de mon école primaire.

Me voilà avec trois autres filles. Quatre fillettes qui se ressemblent. Non pas physiquement, mais par leurs traits réguliers, les cheveux coupés à la garçonne ou tirés à l’arrière, des petites robes bien propres. Nous dégagions l’odeur de la classe moyenne, nous en exhumions le parfum caractéristique avec un sourire poli et un regard innocent. Les mêmes couleurs, les mêmes rêves, tous peints du même pinceau. C’est justement cette photo qui me revient à l’esprit quand je suis amenée à parler du Canada. Des petites filles de six ans dans une cour d’école et qui s’arrêtent le temps d’une photo.

Je suis arrivée à Montréal pour la première fois au mois de mars 1991. Ce fut pour moi une sorte de voyage initiatique de Tunis à Montréal après une escale de quelques heures à Amsterdam. Traverser l’Atlantique par les cieux. Tout est à la fois grand et petit. Le vaste ciel, les nuages à perte de vue et les terres qui paraissent comme des formes géométriques tirées d’un manuel scolaire. Montréal vue du ciel paraît si bien ordonné, des blocs d’immeubles, quadrillés è à l’horizontale et à la verticale par des rues et des boulevards. Rien à voir avec les cercles concentriques et les labyrinthes que j’aperçois de mon hublot en atterrissant à Tunis. L’ordre et la symétrie sont beaux à voir. Mais ça me faisait peur aussi. Quand on a grandi dans le chaos, on ne peut qu’être fasciné par l’ordre. Mais au bout de la fascination, il y a la peur. La peur de ce que cet ordre peut nous cacher.

C’était ma première rencontre avec des gens qui ne me ressemblent pas. Bien sûr qu’il y avait les livres et la télévisions. J’ai grandi avec les deux. Ils étaient mes guides du monde extérieur. Comprendre les autres. Comprendre ceux qui ne parlaient pas la même langue que moi et ceux qui ne me ressemblaient pas. Mais ce n’était pas suffisant. Rien ne peut remplacer le contact humain, le témoignage des yeux. Voir les rues de Montréal pour la première fois, c’est un peu comme traverser la manche à la nage. Les voitures qui arrivent par vagues successives, les feux de circulation qui commencent déjà à clignoter à peine qu’on a commencé à traverser la rue. Le plus souvent, je finissais presque en courant de peur d’être happée par la prochaine vague. Pas de marchands ambulants qui déballent leurs bric-à-brac, pas de policiers qui les guettent au bout de la rue pour leur faire un contrôle d’identité, et peut-être alors leur confisquer leur pacotille en fourrant le tout dans l’arrière d’un camion.

Quand je marchais dans les rues de Montréal, je passais inaperçue. Une étrangère parmi tant d’autres. En 1991, je faisais partie de ce 16% des Canadiens qui sont nés à l’étranger, aujourd’hui, il y en a encore plus et de toutes les couleurs : plus de 20%. C’est surtout ce mélange de cultures qui décrierait ma nouvelle vie au Canada.

En Tunisie, pendant les vingt ans que j’y ai vécu, j’ai rarement rencontré des personnes d’une autre culture ou d’une autre religion, à part bien sûr les touristes qui remplissaient les souks et à qui les « locaux » vantaient les attraits de leurs marchandises : un tapis pure laine, un plat décoratif en cuivre, une lanterne scintillante. Ces touristes étaient pour moi d’une classe à part. Un peu comme des objets exposés dans une musée. On regarde mais on ne touche pas.

Mais au Canada, les gens qu’on prendrait pour des touristes à Tunis, c’étaient mes concitoyens. J’allais à l’université avec eux. Je m’asseyais à leur côté, ils étaient caissiers au supermarché et certains étaient même mes professeurs. En Tunisie, les gens pensaient un peu qu’ils étaient le centre du monde, qu’ils avaient la meilleure nourriture au monde, bien avant de l’avènement de la diète méditerranéenne; qu’ils avaient les meilleures plages au monde même si celles-ci étaient remplies de baigneurs et de pelures de pastèques et, bien sûr, la meilleure équipe de foot au monde sans avoir une fois gagnée la coupe du monde. C’est un peu ce sentiment un peu villageois et provincial, qui fait que les gens s’aiment et se détestent à la fois et ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, sinon de leurs frontières. J’ai grandi là-dedans. Avec des blagues sur les voisins libyens et algériens, un sentiment de supériorité éphémère pour oublier l’oppression.

J’ai rencontré une personne d’origine libyenne pour la première fois à Montréal. Tout d’abord, les mauvaises blagues me sont remontées à l’esprit mais tout de suite après je me suis rendu compte de la bêtise et la petitesse dans laquelle je me suis confinée pendant toutes ces années.
Car cette personne était l’amie d’une amie. Elle parlait français, elle entamait une maitrise en biologie et venait détruire en quelques minutes tous les stéréotypes que j’avais accumulés dans ma tête pendant des années.

Le quartier dans lequel j’ai vécu à Montréal, s’appelle Côte-des-Neiges. C’est l’un des quartiers les plus multiethnique du Québec sinon du Canada. Mais il n’y a pas d’ethnie ou de culture qui l’emporte sur une autre. Ce n’est pas non plus un ghetto où des gens s’entassent dans la misère ou la pauvreté. C’est un quartier dynamique, rempli de couleurs et de saveurs, dans lequel j’avais facilement accès au transport en commun et à l’université. J’allais à pied à l’École des Hautes Études Commerciales où je poursuivais mes études. Je pouvais aussi faire mes courses dans la multitude de commerces qui bordaient la rue principale qui porte le même nom que le quartier. Librairies, pâtisseries, marchands de fruit et de légumes, se côtoyaient en offrant des produits provenant du monde entier.

A chaque fois, que je passais par l’école du quartier, j’avais l’impression de passer par une mini-délégation onusienne. Rien à voir avec la photo avec mes amies dans ma cour d’école.
Les mêmes couleurs et les mêmes visages. Et pourtant la même ambiance bon enfant y régnait : les cris des enfants qui jouaient, les enseignants qui surveillaient de loin et les passants qui regardaient en souriant.

Même quand j’ai déménagé quelques années plus tard pour m’installer avec ma famille à Ottawa, la capitale du Canada, j’ai vécu une expérience tout à fait semblable. Le quartier Bayshore n’était pas aussi urbain que Côte-des-Neiges, mais tout aussi multiethnique. C’est un peu la banlieue où des personnes de différentes origines habitaient dans un même complexe résidentiel.

A l’époque, j’amenais tous les après-midis ma fille d’un an jouer au parc. C’est là où je voyais réellement la mosaïque du quartier : les petits canadiens de souche dans le carré de sable en train de jouer avec les petits chinois, que les grands-parents surveillaient du coin de l’œil tout en continuant leur conversation animée en mandarin. Il y avait aussi les garçons sikhs dont on essayait de faire pousser les cheveux enroulés en chignon dans un petit foulard de couleur vive. Les grands- parents jouent un rôle important dans ses communautés qui sont arrivés au Canada par vagues successives au grès des guerres qui se passaient ailleurs, des situations géopolitiques de certaines régions et des crises économiques.

Règle générale, les hommes arrivaient en premier, suivis par leurs épouses, puis les grands-parents, grâce au programme de réunification familiale. Ces grands-parents étaient un peu le point d’attache de ces communautés dans ce nouveau pays qui deviendraient ultérieurement les meilleurs « baby-sitters » de la famille.

Quand ma fille avait quatre ans, elle est entrée à l’école du quartier. C’est alors que j’ai pu voir de près cette diversité culturelle. J’allais une fois par semaine lire des livres aux enfants. Les enfants arrivaient avec des bagages différents. Ceux qui ont fui la guerre comme les somaliens et ceux qui ont été expulsés d’un pays qu’ils ont fait le leur mais qui les trouvait tout d’un coup encombrants, comme les palestiniens qui vivaient au Kuwait chassés du jour au lendemain. Il y avait ceux qui ont pu transférer leur fortune d’un compte bancaire à un autre mais aussi ceux qui malheureusement n’ont eu le temps de rien prendre, même pas une photo d’enfance. Je lisais des histoires à ces enfants qui, dépendamment de leur niveau de scolarisation, m’écoutaient les yeux avides et les oreilles remplies de cette nouvelle langue qui s’ajoutait à leur monde. Je ne comprendrais jamais leur monde. Quand j’avais leur âge, mon monde était simple, monochrome et dans un sens, prévisible. Le leur était tout autre. Un déracinement parfois involontaire, de nouveaux visages, et surtout de nouveaux rêves, multicolores.

Mais le Canada n’a pas toujours été celui que je décris, un endroit un peu idyllique où plusieurs cultures cohabiteraient dans une ambiance douce et sereine. C’est le défunt père de l’actuel Premier Ministre, Justin Trudeau, qui a introduit cette politique qui s’appelait multiculturalisme. Aujourd’hui, il y a certains qui ne jurent que par cela alors que d’autres n’y voit qu’un spectre qui va déchirer les valeurs traditionnelles européennes et chrétiennes qui ont bâti le Canada depuis sa création en 1867, et même défavoriser le Québec dans sa quête d’une identité nationale distincte.

Et même si cette politique a été mise en place en 1982 et inscrite dans la Charte Canadienne des droits et libertés, elle n’a pas été établie pour des raisons purement innocentes d’amour et de compassion. Si Pierre Elliot Trudeau possédait bien un atout, je dirais qu’il était fin politicien et excellent visionnaire. En fait, il a vite compris que le Canada ne pouvait pas perdurer politiquement si on n’y introduisait pas une politique de diversité culturelle qui garderait les communautés culturelles satisfaites et maintiendrait en quelque sorte la paix « sociale ».

En effet, ce n’est pas un secret que le Canada n’est pas seulement le fait de la colonisation française puis anglaise. Il a été construit par des communautés culturelles différentes issues de l’immigration. Les traces italiennes sont encore visibles dans certains quartiers de Montréal avec les maisons en duplex ou triplex où les propriétaires vont habiter l’appartement du sous-sol et louer le premier et deuxième étage, souvent à de nouveaux immigrants, pour rembourser un prêt hypothécaire. Toronto, une autre ville où les différentes cultures se sont succédé est aussi encore un vestige urbain de ces vagues migratoires : juifs, italiens, grecs, portugais, et polonais, tous y sont passés et tous y ont laissés leur empreinte. Le quartier chinois de cette ville constitue aujourd’hui une attraction touristique pour certains visiteurs avec ses restaurants où les nourritures coréenne, vietnamienne et japonaises se côtoient.

Mais le multiculturalisme n’est pas seulement une succession de mets gastronomiques ou des boutiques de saris indiens ou de marchands de fruits exotiques.

Entre 1885 et 1923, une taxe d’entrée à l’immigration fut imposée aux immigrants chinois, ceux qui ont construit le chemin de fer canadien qui relie l’Océan Atlantique au Pacifique. Ces hommes ont injustement payé pendant des années des sommes importantes pour pouvoir venir s’établir au Canada et pour ramener leurs épouses et fonder une famille. Ce n’est qu’en 2006 que le gouvernement canadien s’est excusé auprès de la communauté chinoise pour le tort qu’il leur a causé.

En 1914, le bateau Komagata Maru est venu accoster sur les côtes canadiennes. A son bord, 376 passagers d’origine indienne, tous venus chercher une vie meilleure au Canada. Mais le bateau a dû rebrousser chemin parce le Canada leur a refusé accès.

Il n’y a pas si longtemps, en 2010, un cargo, le « MV Sun Sea », qui transportait 492 réfugiés tamouls du Sri Lanka fuyant la guerre civile et cherchant un sanctuaire au Canada, a été intercepté par la garde côtière canadienne. Pire, les agents des services frontaliers canadiens sont montés à bord et ont arrêté enfants, femmes et hommes. Certains ont été détenus pendant des mois dans des centres de détention. Vraisemblablement, le multiculturalisme avait des limites.

Toutefois, depuis que je suis établie au Canada, j’ai pu voir à maintes reprises, surtout lors des visites scolaires que j’entreprends lors de certains festivals littéraires, que c’est à l’école que tout se passe.

Lors d’une rencontre avec des lycéens de Vancouver, une ville de la côte ouest du Canada qui compte l’une des plus grosses communautés asiatiques, j’ai pu parler avec des jeunes canadiens qui pour la plupart avaient visiblement des origines asiatiques. Plusieurs d’entre eux rencontraient pour la première fois une écrivaine arabe d’origine nord-africaine. Et pourtant, une fois notre conversation entamée, j’ai vite compris que nous avions des histoires à partager. Pour la plupart le Canada est sans aucun doute le pays natal mais certains restaient attachés à l’histoire d’un grand-père pêcheur d’origine japonaise à qui on a confisqué le bateau de pêche lors de la seconde guerre mondiale ou celle d’un épicier chinois dont on se moquait bien souvent de l’accent. Et pourtant, ces jeunes ont grandi en se voyant parfaitement Canadiens. Ils parlent anglais, parfois même français, ils s’habillent à la mode du jour, mais restent toujours mus par le désir de connaitre leur histoire et surtout de raconter la leur. Ce qui n’est pas toujours facile. Le multiculturalisme n’est pas la carte d’accès magique qui les y conduit automatiquement. Il faut autre chose.

Il y a deux ans, avec la fin de la Commission de vérité et de réconciliation entre le Canada et les premières nations, on a pu assister à l’affranchissement de plusieurs voix autochtones. Ses voix sont importantes car le multiculturalisme n’est pas seulement une mosaïque destinée à « vendre » le Canada au reste du monde. Mais aussi faut-il rappeler que le Canada est le pays qui appartient à des peuples qui ont permis à des « Jacques Cartier » et à des « Samuel de Champlain » de survivre les longs hivers rigoureux en leur faisant découvrir ce vaste pays et en les invitant à leur cercle. Le cercle, symbole si important chez les premières nations comme un lieu où aucune hiérarchie n’existe mais juste des places les unes à côtés des autres avec une parole autour ou bien un silence…

Un grand cercle où de voix diverses se joignent pour chanter ou se taire et contempler le ciel limpide, le fleuve qui coule et le soleil qui brille. C’est justement vers une telle image que j’aimerais voir le Canada se diriger. Un cercle de cultures. Un cercle qui s’élargit et grandit avec le temps.

Je repense encore à cette photo de la petite fille que j’étais dans sa cour d’école. Tous les enfants se ressemblaient. Aucun visage différent, aucune surprise. Rien que la vie qui passe.
Au Canada j’ai découvert la possibilité de voir le monde autrement et de le vivre d’une autre manière. Intense, complexe et surprenante. Je ne pense pas que le multiculturalisme tel que vécu aujourd’hui est parfait. Mais je crois profondément qu’il pourra le devenir un jour. Il faut juste trouver notre voix et notre place dans le cercle.

Une version courte de cet article a été publié au Magazine français, l’Express, Juin, 2018

Banning the Burkini in Cannes: Continuing Oppressing Women Under the Name of Liberation

So recently, the mayor of Cannes in France issued a ban on burkinis. Burkinis is a made-up name for special full-body swimming garment: a hybrid between Burqa and Bikini. In reality, a burkini is a swimming suit composed of leggings and a sort of a short dress worn on top of it. Some burkinis have a hoodie attached and with some other you add a hijab that would cover the head.

I didn’t grow up knowing burkinis. I used to go to the beach and wear a bathing suit. Later, when I decided to wear hijab, I used to put a long dress and hijab. In water, this can be so uncomfortable and heavy and when you go to sit on the beach it collects tons of sand and you feel you instantly gained extra pounds of weight.

At some point I decided to stop swimming, as I felt so much annoyed by the sand and the curious looks. An experience that was supposed to be fun and joyful turned to become itchy and embarrassing. I had the impression everyone would like at me.

And then, I started hearing about some nice suits that modestly cover the body but are made of appropriate fabric that wouldn’t keep the water and would dry as soon as you are out of the water. At that time, no body called these suits burkinis. We didn’t have a specific name for them. We just called them bathing suit for hijabis.

I think they first appeared in Turkey and Malaysia ( I also read somewhere that it was originally designed by an Australian designer of Lebanese descent, Aheda Zanetti) and I remember one of my friends borrowed a suit from another friend who bought it from Turkey and took it to a seamstress and asked her to do something similar.

In Tunisia, Burkinis made their appearance in beaches in the early 2000s. Before then, many women swam either in bathing suits; some others in bikini but many women would wear long dresses or didn’t swim at all. The contact of the long dresses with water and by the effect of pressure and water, they inflate like balloons so women have to keep burst these bubbles of air each time they stand up in the water. Needless to say, that with a long dress, you can’t really swim and move fast. You just dip in the water and stay there. Moreover, once outside the water, the wet dress becomes so tight on the body revealing the shape of the woman and thus defeating the purpose of modesty that a full body suit is supposed to achieve.

Burkini came as the ideal creation. It gave women the opportunity to enjoy water, beach, swim with her friends, kids and family without necessarily looking like an alien.

I remember the first time I went to buy a burkini in Tunisia, it was like trying to buy alcohol in Canada when you are underage. It was in 2008, the dictatorship of Ben Ali was still in place and all sign of religious symbols were suspicious to say the least. Burkini, like hijab, was of course considered in Tunisia as a sign of affiliation with Islamic groups and thus selling them would mean for the regime encouraging women to join these mouvements. So I went to the souk and I asked some store about them. The seller would look at me and assess my real intentions and then once I passed the “test”, he would bring from, literally under the table, one or two packages with a burkini inside them so I can see the models.

But after, the Arab Spring, burkinis were freely sold even in large supermarkets and women who whished to buy one, could freely do so.

It is interesting to note that Tunisian beaches today are full of women wearing burkinis. Even some women, who are not wearing hijab, would go for a burkini.

(It must be mentioned here that women in bathing suits are not harassed but it is very common in these societies that men would stare at women so burkinis is a way to keep some of these unwanted stare away or limited. By no means, burkini would become a way to control to opposite sex attitudes, as this is a matter of education that has never been tackled)

Of course, for people who still consider women covering their bodies as a sign of oppression, burkinis joined the list of words and clothing that linked Muslim women to the world of darkness. For many Muslim women who didn’t want other people commenting on their bodies or showing off their skin for public consumption, burkini achieved the total opposite. It combined liberation with modesty: the best of two worlds!

The recent decision of France to ban burkini from the beaches in Nice is another example of anti-Muslim attitudes wrapped under the disguise of women liberation and combatting religious extremism. All what it will do is: to alienate French Muslim women furthermore and of course prevent them from a nice refreshing swim in the Mediterranean Sea.

What bothers me even more is the total silence of Western feminists. Their silence is disappointing for this is a perfect example of male interference with female choices.

When women are banned from driving in Saudi Arabia, all western feminists would mobilize and stand up (rightly so) to denounce the arbitrariness, abusive and patriarchal nature of such decision. When women in Iran are punished for showing more hair in public or going out with make up, the outrageous reaction of Western feminist is so intense ( and yes we should be outraged) but when Muslim women are banned from going to the beach wearing a burkini, all you hear is silence or whispers. The burkini ban perfectly fits the old equation, so why bother?

Islam= Women oppression

How can a country, considered as a beacon of rights and freedom go so low and do this to its won citizens?

In France, it isn’t a secret that women are allowed to go topless on beaches. There are even some beaches especially designated for nudists. But to prevent women to swim because of the length of their swimming suit is a silly and a simply revengeful reaction. Once again, one of the most vulnerable groups of a society have to pay for the incompetence and failures of the politicians.

At least, and for a small temporary confort, we have some powerful words from Arundhati Roy who commented about the banning of burqa in France in 2010:

“When, as happened recently in France, an attempt is made to coerce women out of the burqa rather than creating a situation in which a woman can choose what she wishes to do, it’s not about liberating her, but about unclothing her. It becomes an act of humiliation and cultural imperialism. It’s not about the burqa. It’s about the coercion. Coercing a woman out of a burqa is as bad as coercing her into one. Viewing gender in this way, shorn of social, political and economic context, makes it an issue of identity, a battle of props and costumes. It is what allowed the US government to use western feminist groups as moral cover when it invaded Afghanistan in 2001. Afghan women were (and are) in terrible trouble under the Taliban. But dropping daisy-cutters on them was not going to solve their problems.”

 

A world of fear

While I was visiting my family and friends in Tunisia this summer, I came across a new feeling, or maybe it is an impression — a feeling or impression that I never encountered before in the country that is proud today to be called the sparkle of the “Arab Spring.”
I grew up there in the ’80s. I remember seeing in people’s eyes the fear of authority, humiliation, loss of dignity, the sorrow of poverty, suspicion, but I didn’t see the “fear of terrorism.” Even in the darkest hours of the country, during the ’80s, when there were violent incidents attributed to Islamist militants, I didn’t hear from people around me that they were afraid.
Was I young and carefree at the time? Was I naïve and unaware of the news around me? I have my doubts. I grew up in a house with a lot of newspapers, books, TV and radio, both local and foreign. My father was not complacent towards the regime and we were always hungry for political news.
But during my last visit, I saw something special, an impression of “déja vu.” Every simple talk I had with family members and friends seemed to hint at the uncertain future, “fear of the terrorists,” or simply, fear of the “other.” Listening to the news in the car, I heard the speaker reporting on ongoing discussions in the “Assemblée Constituante,” the elected assembly, about new “anti-terror legislation.” I couldn’t stand listening. I turned it off instantly. This tense environment brought me back to the troubled days of Canada in the post-9/11 era.
The difference was that while in Canada as a member of the Arab-Muslim community, I felt, sometimes understandingly, the target of suspicion. Nevertheless, in Tunisia I was not a member of any visible minorities and still everybody is scared of the “other.” But who is the “other”?
If you are an Islamist, you are scared of the “old regime” coming back to power and putting you in jail. If you are from the “bourgeoisie,” you are afraid of the hordes of the poor and their slums and diseases. If you are from the “old regime,” you are scared of the “Islamists” and their hidden agenda of allowing polygamy and genital mutilation of little girls. If you are Tunisian, you are scared of the Libyans who are rumoured to have money and arms and who are blamed for all the economic and security problems of the country. And finally, the whole country agreed to be afraid of the Islamic State in Iraq and Syria.
Many times, I felt uneasy during those discussions as fear can’t cohabit with rationality and without rationality democracy can’t be built.
I couldn’t stop thinking about how, after the events of 9/11, the U.S., Canada and many other Western democracies were plunged into an era where civil liberties were curtailed, where innocent people were jailed and others deported. I couldn’t stop thinking about the role of some media outlets and authors in perpetuating old myths like “Canada was a safe heaven for terrorists” or about the imminent “Islamic tide” that would wipe us all out, and soon we would have “sharia-based tribunals” cutting hands and stoning women.
Today, the situation is not any different in Tunisia. Facebook, which as social media was assumed to have played a positive role in mobilizing youth against the tyrannical regime of Ben Ali, today has becomes a rumour-spreading machine, where “scared” people keep perpetuating and feeding one another “scary stories” about “the other” and maintaining social hysteria.
One can wonder: who is this environment benefiting?
In the U.S., post-9/11, groups of politicians, some military and right-wing think-tanks and corporations benefited from maintaining a high level of fear among the population. Several new pieces of legislation targeting individual rights and privacy were introduced with almost no opposition, only because people longed for more security. Many politicians were given “carte blanche” for their illegal actions, and never brought to trial simply because they had to do the right thing and “save” the country from evil. Torture techniques became the “mal necessaire” and indefinite jail of suspects became the norm.
Today, I am afraid the same thing is happening in Tunisia. Ministers from the old regime were not even questioned for their role in the brutal dictatorship. The mismanagement and corruption of more than 50 years were magically forgotten. The journalists, artists, and authors who in the past praised the dictator and his policies were forgiven, if not granted a “new virginity” for continuing their circus.
In 1988, Edward S. Herman and Noam Chomsky wrote Manufacturing Consent. It showed how media played a role in creating a population ready to accept government policies without questioning them. Today, it would be similarly relevant to explore the topic of “fear” and how this became a tool in some hands to shape public opinion in favour of more scrutiny of citizens by government while pushing aside real debates.

This post was originally published at rabble.ca